Analyse : Les raisons qui conduisent les enseignes à optimiser leur portefeuille de magasins
La crise du Covid-19 a accéléré la mutation vers le e-commerce. Partout dans le monde, les enseignes s’adaptent en fermant des magasins devenus non rentables en raison de la baisse de fréquentation. Une analyse de Joanna Perry, responsable du marketing de Pattern, (ex-practicology) membre du réseau Ebeltoft.
La pandémie de COVID-19 a eu un effet massif et immédiat sur le commerce. Les magasins du monde entier ont dû fermer leurs portes. Mais l’impact à long terme du confinement est tout aussi crucial. La migration des ventes vers les sites en ligne pousse les retailers, même les plus dynamiques à réfléchir au dimensionnement de leur réseau. De combien de magasin ais-je besoin désormais ? Et de combien de magasin aurais-je besoin dans le futur ?
Dans les pays occidentaux, cette tendance était déjà perceptible comme le montre la faillite d’enseignes célèbres en Europe et aux Etats-Unis. Leurs modèles commerciaux – conjuguant des coûts immobiliers et de main d’oeuvre élevés – ne leur permettaient pas de résister à la progression des achats en ligne.
En Asie, le contexte macroéconomique est plus favorable – Les surfaces commerciales ne connaissent pas les mêmes risques de surcapacité et la croissance des classes moyennes permet de maintenir les taux de fréquentation en magasin. Même là pourtant, le e-commerce a gagné du terrain avec le confinement. Sur des marchés matures de ce point de vue, comme Hong Kong, la Corée du Sud ou le Japon, certaines enseignes s’interrogent aujourd’hui sur la manière d’adapter la taille de leur réseau. Aucun marché ne sera à l’abri de cette mutation. Si les retailers veulent continuer à gérer de front leurs opérations en ligne et en magasin, il leur faudra revoir fondamentalement la structure de leurs coûts d’exploitation.
U.S.A. la chute de Neiman Marcus
L’évolution de la demande, exacerbée par le COVID-19, a durement touché certains détaillants nord-américains et entraînera un grand nombre de fermetures de magasins. Un des secteurs touchés est celui des magasins de mode « classique ». Tailored Brands (CA US$ 2, 881 milliards en 2019), qui possède deux chaînes de vêtements sur mesure pour hommes, prévoit de fermer jusqu’à 500 magasins après avoir déclenché la procédure prévue dans le cadre du chapitre 11 de la loi sur les faillites. Les chaînes nord-américaines de grands magasins, Neiman Marcus (US$ CA 4,7 milliards en 2019) et Taylor & Lord (CA US$ 1,06 milliard en 2018) sont dans une situation similaire.
Même les retailers disposant d’un réseau moins important s’interrogent sur la gestion de leur parc de magasin. C’est le cas des grands magasins britanniques John Lewis (CA 2019 € 4,2 milliards). Dame Sharon White qui a pris la direction de l’entreprise en Novembre 2019 a livré son plan stratégique fin juillet. Cette dernière a annoncé la fermeture de huit magasins sur 50. En 2020 et 2021, 60 % des ventes s’effectueront en ligne, a-t-elle assuré, contre 40 % avant la pandémie.
Pattern, consultant britannique spécialisé dans le e-commerce et le retail a mené une recherche (suite p.12)auprès des consommateurs australiens début août pour déterminer l’impact du COVID-19 sur leur comportement d’achat. 52 % des 1.000 consommateurs australiens interrogés ont déclaré avoir visité moins souvent des magasins, et 53 % ont déclaré avoir acheté plus de produits en ligne à la suite du COVID-19. 45 % d’entre eux estiment qu’ils vont moins fréquenter les magasins pendant le reste de l’année.
D’après ces travaux, tous les marchés occidentaux, où les magasins « non essentiels » ayant dû fermer leurs portes devraient connaître des tendances comparables.
Aux Émirats Arabes Unis, une région réputée pour la vitalité de son commerce, le confinement a été assoupli assez rapidement. Mais une enquête menée par Colliers International a montré que 35 % des retailers estiment qu’ils auront besoin de moins de surface commerciale à l’avenir, et 71 % pensent que nous allons vers une flexibilité plus grande des loyers en fonction des chiffre d’affaires. 65 % des personnes interrogées veulent développer leur présence en ligne pour s’adapter à la crise.
Même l’Asie n’est pas épargnée
En Asie, plusieurs enseignes internationales ont annoncé des fermetures de magasins. La chaine de lingerie féminine américaine Victoria’s Secret (US$ CA 6, 8 milliards in 2019), et Lush (CA € 1,036 milliard en 2018), le spécialiste britannique des cosmétiques ont fermé des points de vente à Hong Kong.
Cette année en effet, Hong Kong a été doublement touché. Les manifestations pro-démocratiques et la pandémie ont gravement perturbé l’activité commerciale. Les magasins n’ont pas pu profiter de la présence des touristes, venant de la Chine continentale ou du reste du monde. Conséquence : les ventes au détail ont chuté de 33 % au cours des six premiers mois de l’année et les loyers de plus de 19 %, selon Savills.
La baisse des dépenses touristiques a également provoqué des fermetures au Japon. La chaîne d’électronique Laox (CA € 1, 03 milliards) va fermer la moitié de ses magasins japonais. Contrôlée par le groupe chinois d’appareils électriques Suning, l’enseigne cible les touristes chinois habitués à acheter « hors taxes » des produits électroniques lors de leur visite au Japon.
Dans la mode, le groupe américain Esprit (CA € 1,410 milliard) fermera 56 magasins à Hong Kong, Macao, Taïwan, en Malaisie et à Singapour ainsi que 50 % de ses magasins en Allemagne en Novembre. En fait, seuls ses magasins de Chine continentale poursuivront leur activité. En Chine même, les signaux de reprise sont plus positifs. Selon un rapport s’appuyant une enquête réalisée auprès de 360 000 points de vente, la fréquentation des magasins avait retrouvé dès le mois de juin son niveau d’avant la pandémie.
De nouveaux concepts pour le « new normal »
Il n’y a pas que des mauvaises nouvelles pour autant. L’une d’entre elles vient d’un géant du commerce en ligne, Amazon. Celui-ci serait en pourparlers pour ouvrir prochainement 30 magasins de proximité Amazon Go au Royaume-Uni, près de Londres. Le premier « Amazon Go » est censé ouvrir ses portes avant la fin de l’année 2020 dans la capitale.
Aux États-Unis, la firme de Seattle serait actuellement en pourparlers pour racheter des sites autrefois occupés par les grands magasins JC Penney et Sears. Amazon voudrait les reconvertir en centres d’opération pour ses ventes en ligne. On prête également l’intention à Jeff Bezos, P.D.G d’Amazon d’acquérir de nouveaux emplacements dans l’alimentaire. Après le rachat de Whole Foods, il s’apprêterait à ouvrir des magasins Amazon Go Grocery qui viendraient compléter son réseau de magasin de proximité.
Enfin, les grands acteurs de l’immobilier commercial cherchent aussi à pérenniser l’activité de leurs centres commerciaux en offrant de nouvelles solutions à leurs locataires, confrontés à la crise. Le groupe européen Hammerson (valeur d’actifs € 9,3 milliards) cherche à lever € 921 millions en espèce pour faire face à la chute de ses revenus locatifs (-44 %) enregistrée au moment de la fermeture des magasins et des vacances. La foncière, cotée à Londres, a indiqué qu’elle allait introduire des modèles de location plus flexibles et renégocier les loyers. De nombreuses enseignes militent dans ce sens auprès des propriétaires de centres commerciaux pour retrouver le chemin de la croissance et surmonter les pertes consécutives au confinement.