Avis d’expert – 3 questions à Jean-Christophe Brindeau, Directeur CFAO RETAIL
SB : Vous avez travaillé 15 ans à l’international pour le groupe Casino en Amérique du Sud et dans l’Océan Indien. En quoi l’arrivée de l’e-commerce a-t-elle changé le métier de « retailer » ?
JCB : En 1999, le retail était concentré autour de 6 ou 7 acteurs mondiaux. Aujourd’hui, hormis Walmart qui garde une belle puissance de feu, les autres sont dans une situation plus complexe : Carrefour s’est fortement recentré ces dernières années en sortant de plusieurs pays (Colombie, Grèce, Chine etc..). Auchan vend des filiales (en raison de problèmes financiers) et Casino fait de même, (pour un enjeu de dette). Il y a un sérieux recentrage car il faut aborder de nouveaux schémas digitaux, et ce monde-là coute très cher. Certains «retailers» comme Walmart essayent de remonter vers l’e-commerce, via des investissements massifs. Walmart va, de ce fait, enregistrer une perte importante cette année, mais il vient ainsi chatouiller sérieusement Amazon. D’ici quelques années, les «retailers» vont parvenir à unifier cet environnement omnicanal. Mais ceux qui s’enferment dans le commerce traditionnel ne devraient pas aller très loin.
Comment retrouver de la valeur ajoutée grâce au digital ?
JCB : Aujourd’hui, Amazon gagne de l’argent grâce aux datas et à Amazon Web Services. Pour un expert digital comme Alibaba ou JD.com, c’est logique de capitaliser sur la «data». Mais pour un retailer traditionnel, expert du retail physique, l’histoire est tellement pesante que c’est difficile d’imaginer pouvoir réaliser du profit via la database. C-Discount est le 2e e-commerçant en Europe, mais il n’est toujours pas rentable car il n’exploite pas toute la valeur de la data. Or, sans exploiter la «data», comment gagner de l’argent avec de tels coûts logistiques, avec un dernier kilomètre coûtant une fortune, dans un univers d’e-commerce aux marges si basses ? Ensuite, la «data» permet également d’améliorer l’expérience client. A l’avenir, je pense qu’il va falloir que les «retailers» soient beaucoup plus intrusifs dans la vie des consommateurs, en utilisant les données comme le font les GAFAs. Plutôt que d’attendre le client sur un point de vente, ils vont devoir «manager» la vie du consommateur.
Quels postes vont prendre le plus d’importance au sein des organisations ?
JCB : Le poste de «distribution des flux de marchandises», qui consiste à gérer les flux produits jusqu’au bout de la chaîne, à savoir jusqu’au consommateur final (livraison à domicile, voire dans son réfrigérateur…) va devenir crucial. Je le distingue bien de la «supply-chain» classique, qui pilote les flux de l’entrepôt jusqu’au magasin. Aujourd’hui, on voit au sein des entreprises des spécialistes opérationnels de l’exploitation des points de vente d’un côté, et des Directeurs Digitaux de l’autre. Pour moi, il va devenir nécessaire de créer ce type de poste reliant l’ensemble des points de contact, ayant une vision globale du consommateur et de la façon de l’atteindre. Je ne vois pas encore cette compétence-là dans les organisations, mais je crois qu’elle sera clé à l’avenir.