« A long terme, l’e-commerce peut atteindre 25 % du marché alimentaire aux USA »
Filiale du géant coréen Emart, l’enseigne de supermarchés haut de gamme Good Food Holdings concurrence Wholefoods (Amazon) et Trader Joe’s (Walmart). Neil Stern, PDG depuis septembre 2020, détaille le partage actuel de valeur avec son premier partenaire Instacart et sa vision pour l'e-commerce de demain.
Mind Retail : Après 34 ans chez McMillan Doolittle (conseil retail), vous dirigez désormais Good Food Holdings. Pouvez-vous nous présenter l’enseigne ?
Neil Stern : Good Food Holdings est la holding regroupant 5 enseignes alimentaires indépendantes. Ceux-ci opèrent 51 supermarchés sur la côte ouest des USA, répartis de Seattle à San Diego. Avec une taille moyenne de 3.000 m², ils sont bien plus petits que ceux nos concurrents. Nos enseignes sont Bristol Farms, Lazy Acres Natural Market, Metropolitan Market, New Seasons Market et New Leaf Community Markets, et elles ont des modèles économiques différents : Bristol Farms est très premium et spécialisée sur les produits frais (viande, fromages…), deux enseignes (Lazy Acres et New Leaf Community Markets) sont 100 % bio. En 2020, notre CA a atteint US$ 1,4 milliard en progression annuelle de 20 %. Mais nous restons petits, en comparaison avec Walmart (US$ 559,2 milliards de ventes en 2020) ou Kroger (US$ 122,3 milliards).
Quelle part des ventes vient de l’e-commerce ?
Neil Stern : L’e-commerce est passé de 3,5 % de nos revenus en 2019 à 13 % en 2020. Il a crû de 450 % l’an dernier. Si l’on regarde le marché américain, l’e-commerce alimentaire reste très en deçà de secteurs comme la mode et l’électronique. Pour être honnête, avant la pandémie, Good Food Holdings était complètement axé sur les magasins. L’e-commerce n’était pas une priorité… Avec la pandémie, beaucoup de nouveaux clients ont été séduits par son côté pratique et rapide, notamment pour les produits volumineux (produits bébés, boissons, alimentation animale…). Mais le développement du « online » a presque été accidentel chez nous !
Pourquoi avez-vous externalisé l’e-commerce à Instacart et Door Dash ?
Neil Stern : Actuellement, 80 % des commandes en ligne (picking et livraison) sont traitées par Instacart. On travaille aussi avec la plateforme collaborative de livraison Door Dash (Note : un équivalent d’Uber Eats). Nous sommes également présents sur la marketplace d’Amazon depuis 2015 avec une gamme de 20.000 références. Pour accélérer nos capacités e-commerce, on investit désormais sur nos propres actifs digitaux. Après avoir créé nos sites marchands début 2021 (un pour chaque enseigne), on est en train de réorganiser toute la technologie associée : nouvel OMS avec TBD, nouveau programme de CRM unifié avec Clutch, etc.
Quelles sont vos initiatives en matière de paiement ?
Neil Stern : Nous lançons le « self check-out » et le paiement mobile en partenariat avec Toshiba. Nous avons aussi signé un partenariat avec Beeve, pour déployer des caddies intelligents en magasin. Quand vous placez un article dans le caddie, celui-ci est reconnu automatiquement pour un paiement plus fluide.
Que pensez-vous du déploiement des « dark stores », porté par Gopuff et consorts ?
Neil Stern : Les acteurs du capital risque mettent beaucoup d’argent sur la table car ils espèrent trouver la martingale pour l’e-commerce alimentaire. Instacart devrait être côté à la Bourse de New York cette année et Amazon – via Wholefoods – investit lourdement dans ce domaine. A Los Angeles, Gopuff reste limité en taille, mais ils grossissent car ils sont soutenus par un flux d’investissements élevés. Les clients l’utilisent pour des achats d’impulsion (glaces, sodas, bières et vins) mais pas pour les gros paniers ni les produits frais. Chez Good Food Holdings, nous allons opter pour un mélange de picking en magasin et de « dark stores » robotisés. Ces « dark stores » seront situés à côté de nos supermarchés, qui sont trop petits pour les accueillir à l’intérieur.
Jusqu’où peut aller l’e-commerce dans l’alimentaire ?
Neil Stern : Aux USA, il peut atteindre 25 % du marché alimentaire à long terme. Mais dans notre cœur de métier – l’alimentaire haut de gamme et les produits frais – je ne crois pas qu’il va dominer un jour. Chez Good Food Holdings, notre marque de fabrique est cette gamme exceptionnelle de produits frais. L’e-commerce doit refléter ce positionnement, et capitaliser dessus. Ce n’est pas en vendant des produits courants moins cher que les autres que l’on gagnera la bataille du « online ».
Deliveroo prend des commissions de l’ordre de 25 % à 30 % dans la restauration. Combien vous coûte Instacart ?
Neil Stern : Pour préparer la commande, Instacart facture au retailer 10% du montant de la commande, soit US$10 pour US$100 d’achats. Il fait aussi payer entre $5 et $7 au client final. En tant que retailer, je ne sais pas faire le « picking » et la livraison pour seulement $10…à ce prix-là, je ne peux pas être compétitif. Instacart tire également des revenus publicitaires de la part des acteurs des PGC.
Quelle est la rentabilité de votre e-commerce ?
Neil Stern : D’un point de vue logistique, l’e-commerce est plus coûteux et plus complexe dans le frais que dans l’ambiant… Et bien sûr, le « click & collect » est plus rentable que la livraison à domicile (LAD). Mais chez Good Food Holdings, moins de 10% des commandes sont collectées en magasin et 90 % sont livrées à domicile. Les USA sont vraiment un marché de livraison à domicile : c’est à cause d’Amazon, qui nous a façonnés ainsi. Walmart est une exception dans le paysage local, puisque 70 % des commandes sont récupérées en click & collect par le client et 30 % sont livrées à domicile. Walmart a investi lourdement pour promouvoir ce modèle. Pour accroître la part de ce « click & collect », nous installons des espaces dédiés sur les parkings de nos supermarchés, là où c’est possible. Mais la livraison à domicile restera dominante chez Good Food Holdings. Nous cherchons des options pour la ré-internaliser et augmenter sa rentabilité !
En savoir plus : https://www.globalretailnews.com/instacart-nous-inventons-le-modele-des-courses-alimentaires-du-21e-siecle/